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« Sarkozy démolit l'UE existante tout en disant qu'il l'aime »

 

 



Eurodéputée centriste sortante, Sylvie Goulard est à la tête de la liste «Les Européens» présentée par l'UDI et le MoDem dans la circonscription Sud-Est. Elle réagit à la tribune de cinq pages publiée par Nicolas Sarkozy dans l'hebdomadaire Le Point jeudi 22 mai.

Le Monde.fr : Quelle est votre analyse de la tribune publiée par Nicolas Sarkozy?

Sylvie Goulard : Qu'un ancien président de la République s'exprime sur l'Europe, voilà qui est compréhensible, à la veille d'un scrutin où les casseurs de l'Europe et de l'euro ont le vent en poupe. Mais le contenu est très décevant, et même par moments démagogique, donc dangereux.

 

Nicolas Sarkozy, une fois encore, oscille entre sa stature présidentielle et un jeu politicien. Il démontre à nouveau que les dirigeants français refusent de comprendre en quoi consiste la valeur ajoutée de l'Union européenne. Il veut une Europe forte avec des politiques faibles. Il démolit l'UE existante (désarmer la Commission, défaire la légisation, suspendre les accords de Schengen) tout en disant qu'il l'aime.

Ce qui fait le prix de l'UE, de l'Europe communautaire, c'est l'existence d'institutions communes, notamment la Commission qui incarne l'intérêt général, qui est l'arbitre entre les Etats. Et la liberté de circulation est un acquis précieux avec lequel on ne doit pas jouer.

Sur la liberté de circulation, que pensez-vous de sa proposition de suspendre immédiatement l'actuel espace Schengen ?

C'est le pompon de la démagogie. Comment feront les frontaliers pour aller travailler tous les jours ? Et les transporteurs ? On peut modifier posément les accords de Schengen dans le cadre des traités existants : on n'a pas besoin de dénoncer et déconstruire Schengen I pour passer à un Schengen II. Passer à une politique d'immigration et d'asile vraiment commune est nécessaire. Mais ce sont des sujets trop importants pour les soustraire au Parlement européen où ont lieu des discussions publiques, transparentes.

Enfin, s'acharner sur les accords de Schengen, à trois jours du scrutin, c'est accréditer les thèses du péril étranger... On voit la manœuvre pour récupérer les voix du FN, mais cela peut aussi inciter les électeurs à voter pour les plus radicaux.

Le projet de « création d'une grande zone économique franco-allemande » qui permettrait de « mieux défendre nos intérêts face à la concurrence allemande, en gommant nos handicaps fiscaux et sociaux » vous semble-t-il viable ?

La grande zone économique franco-allemande, stable elle existe, elle s'appelle la zone euro. La France et l'Allemagne en font partie. La France et l'Allemagne l'ont voulue et façonnée. C'est à l'intérieur de cette zone économique à 18, elle même insérée dans le marché à 28, que l'unité de la France et de l'Allemagne peut être féconde. Nos deux pays peuvent être le levain dans la pâte, ils peuvent enclencher des progrès, ils ne doivent pas confisquer le pouvoir. Oui au leadership conjoint au service d'une cause plus vaste : par exemple, la convergence fiscale à 18, la relance de l'investissement, l'amélioration de la mobilité et de l'emploi. Non à un directoire autoproclamé et autocentré. Ce n'est pas en faisant des choses à deux avec les Allemands que la situation européenne sera améliorée.

De toute façon, les autorités allemandes ne l'accepteront jamais. Les Allemands ont des liens étroits – comme nous d'ailleurs – avec l'Italie, avec l'Autriche, avec le Benelux, ils veulent que la Pologne entre dans l'euro, ils sont très soucieux de conserver des bonnes relations avec le Royaume-Uni.

Pourquoi les Allemands, qui sont au cœur de l'UE à 28, qui ont su maximiser les bénéfices de l'euro, achèteraient-ils ce repli ? Pourquoi se contenteraient-ils de la vision au rabais préconisée par Nicolas Sarkozy, qui détruit un certains nombre d'acquis communautaires ?

Cette tribune est un leurre, un faux appel qui risque seulement d'abuser les gens. L'hagiographie sarkosyste consiste à laisser entendre qu'il a su très bien gérer la relation franco-allemande. A Bruxelles, il passe, au mieux, pour celui qui a escamoté par de la com' le décrochage français. A Berlin... Je dirais seulement qu'on aime les individus fiables et sérieux.

Nicolas Sarkozy propose aussi de supprimer de moitié les compétences communautaires et que « la Commission [européenne n'ait plus] de compétences législatives », arguant que c'est au seul Parlement européen de légiférer. Qu'en pensez-vous ?

Le président sortant veut détruire l'Europe communautaire. Il oublie qu'elle a été inventée en France et qu'elle a permis d'élaborer un certain nombre de politiques dont la France a bénéficié : la politique agricole commune (PAC), Erasmus, les fonds structurels et tant d'autres. On a créé un espace démocratique, certes imparfait mais dans lequel des politiques communes sont financées par un budget commun. Cette grande invention de Schuman et de Monnet, que Jacques Delors a magnifiée, est une innovation incroyable, un prototype inachevé mais porteur pour la gouvernance mondiale. Nicolas Sarkozy voudrait maintenant la détruire ?

On ne voit vraiment pas comment son système pourrait fonctionner. Car si on n'avait pas de moyens de surmonter les vetos, si on n'avait pas la Commission qui fait la synthèse des intérêts particuliers pour trouver un intérêt supérieur, alors on serait de nouveau, comme au début du XXe siècle, dans un jeu de rapport de forces entre Etats où la France serait perdante.

Et sur ses propos visant à défendre l'identité nationale et les spécificités du modèle français ?

Nicolas Sarkozy retombe là encore dans une ornière. L'UE n'a absolument pas pour objectif de détruire les identités nationales ou régionales. L'enjeu c'est au contraire de bâtir une équipe européenne riche de talents divers.

Ceci posé, pour préparer les Français à un travail collectif européen, mieux vaudrait les aider à voir ce qu'ils ont en commun, les préparer au travail multiculturel, les inciter à apprendre d'autres langues. Insister sur l'identité nationale à tout bout de champ, c'est créer un obstacle supplémentaire dans le travail d'équipe européen.

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